Options fondamentales

Toute l’action de l’Association Docteurs Bru s’inscrit dans le respect de trois textes fondateurs.


Docteur Nicole Bru, Présidente d’honneur, fondatrice

Depuis 1996, l’Association Docteurs Bru a fait le choix ambitieux et difficile de rassembler, dans un même lieu, des jeunes filles ayant vécu des actes incestueux ou subi des violences sexuelles. Au-delà de cette première mission d’accueil et de protection, un accompagnement spécifique a pour finalité de leur permettre de dépasser leur statut de victime et de s’engager plus librement dans leur future vie de femme. Au fil des ans, l’expérience nous a montré qu’il a fallu interroger nos connaissances, évaluer et réajuster nos pratiques, pour faire face aux difficultés du quotidien, aux doutes et aux interrogations.

Cette analyse permanente des relations entre les jeunes filles, les professionnels et les familles au sein même de la Maison d’accueil Jean Bru et lors des réunions trimestrielles du Conseil d’Orientation Scientifique et Technique, nous permet aujourd’hui d’affirmer le bien-fondé des engagements pris.

Le maintien et la qualité des liens avec les anciennes témoignent de la pertinence de notre accompagnement.

Cette confiance mutuelle nous invite à poursuivre notre mission de protection et de recherche avec, je l’espère, un bonheur retrouvé pour les jeunes filles hébergés à la Maison d’accueil Jean Bru.

Docteur Ginette Raimbault, psychiatre-psychanalyste

Les jeunes sujets, victimes de maltraitances sexuelles que nous accueillons sont dans un état de désorganisation psychologique plus ou moins sévère. Ces symptômes sont déterminés par deux ordres de facteurs :

  • Une confusion des identifications, dans la mesure où le jeune sujet est dans le rôle de l’amant d’une personne de sa propre famille ou équivalent, alors qu’il en est l’enfant.
  • Une violence subie et ceci dans trois registres séparés ou enchevêtrés :
    • Violences physiques : l’acte sexuel est imposé par des coups ou des menaces de coups.
    • Violences psychologiques : l’acte sexuel est imposé par des manipulations psychologiques et chantage affectif, asservissement, perversion mentale, complicité maternelle.
    • Violences sociales : dans la majorité des cas, le placement de l’enfant adolescente est demandé par la justice ou un service social, un hôpital…

La dénonciation de l’inceste (ou autre violence) a déjà été faite. Le malaise latent, silencieux, s’est brutalement transformé en un scandale social et juridique. Aux traumatismes causés par la violence, s’est donc surajouté pour l’enfant celui de la dénonciation avec ce que cela implique de culpabilité, de honte, de questionnement quant à son avenir, d’incertitude quant à celui du « responsable ». Au silence, généralement prolongé, dans lequel était vécu l’inceste, a fait suite une situation chaotique qui a abouti à une demande de placement en « urgence ». Ce déroulement imprévu pour l’enfant, qui se trouve à la fois victime et responsable, sinon fautif – ne serait- ce que par la dénonciation – explique déjà les troubles du comportement, de l’humeur, des passages à l’acte. Dans certains cas, l’éclatement du scandale peut être vécu comme une délivrance. Mais plus généralement, la charge psychologique qui en résulte entraîne un désarroi profond pour l’enfant et tous les membres de sa famille. Applications : l’accueil à l’établissement doit tenir compte de ce parcours afin d’apprécier la difficulté d’une prise en charge « spécifique », c’est-à-dire adaptée à chaque enfant. L’objet de départ : définir les mesures à mettre en œuvre pour elle et avec elle, afin d’apaiser le désarroi et ouvrir de nouvelles voix après cette démolition généralisée.

L’établissement propose une double orientation thérapeutique :

  • Mise en place d’un cadre social où les règles structurées sont à respecter et où les rapports éducatifs sont clairement explicités.
  • Offrir une disponibilité d’écoute qui permette au sujet de se sentir suscité à s’exprimer et avancer ainsi dans la symbolisation de son discours personnel au lieu de répéter le passage à l’acte, qu’il a lui-même subi et/ou perpétué.

Docteur Patrick Ayoun, psychiatre-psychanalyste

Le fonctionnement de l’établissement repose sur une série de postulats. La nécessité d’une prise en charge éducative pédagogique et thérapeutique spécifique pour des jeunes filles d’une part victimes de violences physiques, psychologiques notamment d’abus sexuels intra familiaux (ceci repose sur l’hypothèse d’un traumatisme spécifique lié aux violences et inceste subis), d’autre part n’ayant aucun recours familial ou institutionnel fiable au moins pour un temps (ceci suppose une défaillance non seulement des parents mais aussi du reste du réseau familial) ; la nécessité d’assurer cette prise en charge dans l’établissement par une équipe éducative qui, assurant une suppléance parentale transitoire, les rassemble, les héberge mais aussi les accompagne lors des procédures socio-judiciaires potentiellement traumatisantes jusqu’au procès. On suppose ici que ce rassemblement ne représente pas une aliénation supplémentaire.

Il faut souligner quelques aspects du traumatisme spécifique ici en question : outre le brouillage intra psychique des repères identificatoires (différence des sexes et des générations) dû à l’impact des agressions intra familiales (pas seulement sexuelles), il faut noter la fréquence d’un sentiment de honte indicible (plutôt qu’un sentiment de culpabilité), honte qui réduit à néant le sentiment d’appartenance à l’espèce humaine. Plus qu’une blessure, les actes sexuels incestueux provoquent un « meurtre psychique » ou une « abolition du sujet » d’où un trou dans le système des représentations psychiques familiales, mais aussi de l’ensemble humain qui assure l’identité personnelle. Les sujets qui ont été victimes d’inceste peuvent se sentir en rupture du lien d’appartenance avec l’espèce humaine, jusqu’à s’imaginer, pour certains, d’une autre espèce. De ce fait, plus qu’une répétition symbolique déplacée et prévisible, où l’éducateur serait imaginairement mis à une place de parent idéal ou persécuteur, il faut craindre une reproduction réelle et surprenante de l’agir incestueux soit avec les adultes, soit avec les autres jeunes filles. Rappelons que « l’identification à l’agresseur » n’est pas une identification symbolique réductible par un échange de paroles. Elle est de l’ordre d’une « possession » qui implique pour y répondre, une réaffirmation incessante de l’interdit, le recours fréquent à un collègue, tiers réel, et un travail constant de dépossession et de décollage identificatoire du côté des adultes responsables, notamment des éducateurs. Cette reproduction a souvent déjà eu lieu par le biais d’agressions psychologiques et « professionnalisées » dans les institutions sociales et judiciaires. Elle risque de se faire au moment de l’admission dans l’établissement mais aussi lors des thérapies extérieures, si ne sont pas rappelés un certain nombre de points : il s’agit d’abord et avant tout d’écouter et prendre en compte la parole de l’enfant sans chercher à l’accréditer absolument ni à la discréditer. En revanche, un savoir sur l’histoire traumatique de l’enfant est nécessaire pour les adultes qui s’occupent de lui, ceci afin de comprendre et contenir les répétitions et reproductions qu’il ne manquera pas de leur faire subir. Le savoir doit être obtenu par tous les moyens autres que l’interrogatoire de l’enfant, en particulier : savoir si les agressions ont été réellement et entièrement reconnues par les instances socio-judiciaires. Car l’enfant ne peut se libérer de ses agresseurs internes que s’il est préalablement aidé à reconnaître la réalité de ses parents et les préjudices qu’ils lui ont fait subir. Seule cette reconnaissance peut lui permettre de penser les causes de ses traumatismes à l’extérieur de lui et d’accéder alors à l’épreuve de la réalité.